Sur le continent africain, 2015
et 2016 sont des années cruciales en termes électoraux. Au cours de ces deux
années, il y a eu jusqu’à présent 14 élections.
Pour permettre à la population de
jouir pleinement de ses droits de citoyen, les internautes ont multiplié
les initiatives. En Guinée, où 65 % de
la population est analphabète, l’Association des blogueurs de Guinée (ABLOGUI)
avait lancé avec le financement d’OSIWA (Open
Society Initiative for West Africa), une campagne d’information et de
lutte contre l’usage des différences ethniques comme programme politique, pour
éviter les affrontements au sein de la population.
Global Voices a demandé à M.
Tafsir Baldé, responsable de la commission Promotion des langues
nationales au sein de l'association des blogueurs de Guinée, de donner ses
sentiments sur cette expérience.
Global Voices GV: M. Tafsir
Baldé, pourriez-vous vous présenter de nouveau à nos lecteurs?
Tafsir Baldé TB: Je suis Tafsir Baldé, chercheur en langues et cultures africaines et blogueur en #Pular sur www.misiide.net, membre fondateur de l’Association des blogueurs de Guinée (ABLOGUI), et responsable de la commission promotion des langues nationales au sein de la dite association.GV: Qu’est-ce que c’est que le hashtag #GuineeVote? Et quelle relation avec les langues nationales: le #Pular et le #Nko?
TB: #GuineeVote est une plate-forme web participative autour des élections en Guinée. Un projet citoyen porté par l’Association des Blogueurs de Guinée (ABLOGUI). Sur cette plate-forme, une rubrique des langues nationales a été créée pour traduire l’essentiel de l’actualité électorale en langues nationales #Pulaar et #Malinké.
Depuis sa création, notre association s’est fixé comme objectif fondamental de s'impliquer sur la façon dont les leaders des partis font la politique. Pour atteindre ce but au-delà de toute position partisane, nous avons pensé qu’il était nécessaire de réformer le discours politique en poussant les candidats à parler de leurs programmes et non des sujets à caractère ethnique. Nous avons donc établi un système pour comparer leurs programmes et pour que ceux-ci soient compris par la majorité d’une population qui ne maîtrise pas dans son ensemble la langue française nous avons introduit cette partie des langues nationales.
Notre commission de langues nationales a donc traduit et publié surwww.guineevote.com dans ces deux langues expliquant le code électoral, l'importance de voter, les fonctions d’un élu, la comparaison des programmes des différents candidats, etc.
GV: Quels ont été les résultats?
TB: Nos résultats ont été remarquables. D’abord nos lecteurs se sont satisfaits parce qu’avec les publications dans ces deux langues, ils pouvaient mieux comprendre le processus électoral et son importance dans la vie de chaque Guinéen. Un lecteur nous a écrit dans un commentaire en Pulaar: “A weltaanama seydi Balde! Golle maa ɗen no labaa fota” (traduction: Nous sommes très fiers de tes travaux remarquables, Monsieur Baldé). Sans oublier que nous avons amélioré la visibilité de nos langues nationales par le biais de ce projet.
GV: Connaissez-vous d’autres exemples
d’initiatives d’utilisation des langues nationales pour l’engagement des
blogueurs, en Afrique de l’ouest?
TB: En ce qui concerne la participation des blogueurs, à part notre initiative, je ne connais pas d’autres initiatives de ce genre dans la sous-région! Toutefois, de nombreuses télévisions, mais surtout de radios diffusant en langues nationales sont disponibles online.
Il faut signaler aussi que dans le cadre d'une participation démocratique plus large, le Burkina Fasso vient de traduire son code électoral dans ses principales langues nationales.D'autre part, en 2014, l’assemblée nationale sénégalaise a introduit la possibilité pour les parlementaires d'intervenir à l’hémicycle dans six langues nationales.
Voilà des exemples à suivre pour permettre aux gens de mieux s’intéresser et exprimer leurs opinions.
GV: À vos yeux quels sont les obstacles à
une plus grande utilisation des nouvelles technologies de l'information et de
communication (NTIC) dans les processus électoraux en Guinée et dans la
sous-région?
TB: Il faut mettre en évidence que les NTIC peuvent être efficaces pour l’expansion de nos langues nationales. On a réalisé des avancées significatives dans ce sens pour le pular et le n’ko. Je pense que limiter ces actions citoyennes en langue française ne sert pas grand-chose! Car selon les statistiques, environ 65 % de la population guinéenne ne comprend rien de la langue officielle de l'Etat et de toutes les institutions. Il va falloir donc que cela soit pris en compte dans le système d’information que nous blogueur mettons en place; qu’ils ne se sentent pas marginalisés parce que ne comprenant le français que peu ou prou.
Nous n’avons rien contre l'usage du français, mais il nous revient la lourde tâche d’informer ces milliers de lecteurs dans leurs langues respectives.
GV: Comment voyez-vous l’avenir de
l’utilisation des langues nationales dans les réseaux sociaux?
TB: Une étude réalisée par Gilles Maurice de Schryver et Anneleen Van der Veken, nous affirmait que ces langues apparaissent sur la Toile beaucoup plus comme des objets d’étude.
Les langues africaines sont présentes sur les réseaux sociaux de deux manières distinctes. La première manière est caractérisée par des hashtags sur des sujets d'actualité nationale ou qui font référence à des éléments linguistiques régionaux. C’est le cas par exemple de #lwili (en langue mooré, l’une des principales langues du Burkina Faso), qui fait allusion à un pagne national, le lwili-peendé; porté depuis le temps colonial.
Ce hashtag évoque naturellement toute la symbolique de l’oiseau, emblème de Twitter. Aussi, dans la culture ivoirienne du réseau social, l’expression « #Kpakpatoya » (en nouchi) indique le fait de relayer l’actualité nationale ou internationale pouvant intéresser les suiveurs du fil. Nous bloggeurs de Guinée, sommes en train de chercher un hastag à l’instar des ces pays de la sous-région.
La deuxième manière se distingue par l’introduction des langues africaines sur les réseaux sociaux comme langue pour les utilisateurs. De plus en plus, les principaux acteurs des réseaux sociaux et des sources de référence offrent de la place aux langues africaines.
GV: De quels principaux acteurs parlez-vous?
Pouvez-vous nous illustrer ce qu'ils font?
TB: Wikipédia, par exemple, propose des contenus dans quelques langues africaines, dont le peul et le bambara, une langue très proche du malinké. En outre, cette source de contenus a créé Afripedia en partenariat avec l'Institut français et l'Agence universitaire de la Francophonie depuis juin 2012.
Même si ce n'est pas son objectif premier, le projet Afripédia visant à favoriser l'accès aux contenus sur les réseaux en ligne au plus grand nombre d'utilisateurs ne disposant pas facilement de connexion Internet, peut aussi contribuer à une plus grande utilisation des langues africaines dans les NTIC.
Après le tamazight en 2013, Facebook a tout récemment adopté dix (10) autres langues africaines sur son réseau social comme langues d’utilisation. Personnellement, j’ai intégré le groupe des traducteurs de facebook en pular. D'après l'équipe en charge de veille sur nos travaux dénommée “Facebook Translations Team”, nous avons traduit le réseau en pular à 85%.
A noter que depuis 2014, des jeunes africains se sont mis à concevoir des réseaux sociaux purement africains. C’est le cas par exemple de « #Ilemba » (la marque en gabonais) basé à Libreville.
Tous ces facteurs améliorent la visibilité des langues africaines sur les réseaux sociaux.
GV: Quel suivi envisagez-vous après les
occasions liées aux élections pour la promotion de l’utilisation de ces
deux langues parmi les internautes guinéens?
TB: Dans l’agenda de nos principaux des activités de l’année 2016, nous comptons organiser une conférence débat sur la place des langues nationales dans les TIC. La rencontre vise à valoriser l’usage des langues nationales dans les technologies nouvelles. Au cours de cette conférence débat, nous allons mettre l'accent sur les innovations technologiques dans les langues locales afin d'inciter les citoyens et l'Etat à se servir des ces outils du web pour lutter contre l’analphabétisme dans notre pays.
GV: Votre dernier mot?
TB: J’invite mes amis bloggeurs, à prendre en compte les langues africaines dans leurs activités de blogging. Cela en vue d’une seule finalité, promouvoir la diffusion des langues africaines par les outils du web 2.0.
Propos
recueillis par : Abdoulaye Bah, pour Global Voices
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