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samedi 3 septembre 2016

Le Pular : Véhiculaire ou Vernaculaire?


Le 16 juin 2016, j’ai lu un billet de blog sur Doudoufine.Mondoblog.org intitulé : Le français, cette langue qui influence le pular. Un billet qui donne l'impression aux lecteurs que le Français enrichit le Pular de mots et d’expressions, l’auteur est allé jusqu'à traiter le Pular, comme la plupart des langues africaines, de langue vernaculaire. En lisant ce billet, il me semble que l’auteur confond entre langue maternelle et langue vernaculaire ! C’est pourquoi, j’ai pris l’initiative en ma qualité de blogueur en Pular et chercheur en langues et cultures africaines, de livrer quelques détails concernant le Pular afin d’éviter que cette langue soit traitée de vernaculaire alors qu’elle ne l’est pas. Loin s’en faut !
Je n’en disconviens pas que le Pular s’emprunte des mots et expressions au Français, mais a des termes limités comparativement à l’arabe qui a fournis le Pular d’orthographes et d’expressions très riches. D’ailleurs, on peut dire que « la pratique de l’emprunt à l’arabe est moins perceptible que l’emprunt au français qui saute aux yeux ». (Moussa Daff, 2004). Il faudra bien consulter P.-F. Lacroix (1967), dans « Remarques préliminaires à une étude des emprunts arabes en peul », pour comprendre comment l’arabe a enrichi le pular contrairement au français.
DEMBA PAMANTA (2000), dans son article consacré aux emprunts lexicaux peuls au français, constate que le pullo emprunte de noms le plus souvent inconnus de la langue peule, soit parce que le concept est nouveau, soit parce qu’il y a abandon d’un terme autochtone au profit de l’emprunt.
Si l’on tient compte des emprunts lexicaux peuls au français, on s'apercevra que bon nombre d’entre eux ont des origines en pular, en voici quelques illustrations :
awiyon (avion), rondiisiman (arrondissement), kartiyee (quartier), etc. En pular, avion se nomme « arapulen », quartier s’appel « teekun », et arrondissement s’appel « serkel ». Dans ce cas, l’on remarque que les termes empruntés au français sont employés, non pas par maque de mots, mais pour abandon des termes autochtones au profil du français.
Par contre, les termes comme taabal (table), et gaarwatir  « gare voiture » (gare routière), etc, sont empruntés au français parce qu’ils sont inconnus de la langue pular.
A noter que le Français aussi a emprunté des mots au Pular comme « bowal», employé par les pasteurs fulbe (peuls) pour désigner ces espaces où ils conduisent leurs troupeaux. Les géomorphologues français ont adopté ce terme pour désigner « un espace dénudé et vaste ».
Un entretien réalisé par la chaine française TV5 notait que « nous ignorons souvent que de nombreuses expressions africaines contribuent à l'évolution constante de la langue de Molière ». Selon Alain Rey, « Sur plus de 35.000 mots du français courant, près de 5000 sont d'origine étrangère », y compris des langues africaines.
Ainsi il faut noter que le français en Guinée s’enrichit des termes empruntés aux langues nationales (que l’on peut facilement repérer dans la presse écrite, a titre d’exemple), ce sont des « modes d’expressions et de pensées guinéens » qui sont souvent employés pour assurer la complémentarité entre le français et les langues locales. Cette complémentarité est d’ailleurs un impératif de suivi pour la langue français en guinée.
Sur le même billet de blog, l’auteur se pose la question de savoir si le français influence les autres langues dites internationales, pourtant très riches, alors qu’en est-il des langues vernaculaires présentes en Afrique ?
A ce stade, il est nécessaire de définir le concept de la langue « vernaculaire », et mettre en évidence les langues dites « vernaculaires » en Afrique.
En linguistique, « vernaculaire » s’applique à une langue qui n’est parlée que dans une communauté ou dans un groupe donné.
Selon la version française du wiktionary, une langue vernaculaire, est une langue « qui est propre à une région ou à un pays ou ses habitants ».  
En se référant à ces définitions précédentes, on peut comprendre que la langue vernaculaire est une langue parlée dans un territoire restreint, par une communauté restreinte. Tel n’est pas le cas pour le Pular. Car selon son rapport sur les langues africaines publié en 1998, l’UNESCO rapporte que « la langue ‪Pulaar est … parlée par 82 millions de personnes (largement dépassés aujourd’hui, si l'on tient compte de l'accroissement démographique très élevé) dans 24 pays d’Afrique » de l'Ouest, centrale et des rives du Sénégal à celles du Nil. Cela dit, le Pular est une langue véhiculaire et non vernaculaire ! Et pour preuve, elle a le statut de « langue nationale » dans beaucoup de pays africains, notamment, la Guinée, le Sénégal, la Gambie, le Mali, le Burkina Faso, la Sierra Léone, le Bénin, etc.  
Si « vernaculaire » s’oppose avec les termes de langue « véhiculaire », « classique » ou « liturgique », le Pular serait loin d’être une langue « vernaculaire » alors ! Pour preuve :
Ø  La langue Pular a une tradition écrite datant du 18ème siècle. Lire ici en Anglais .
Ø  L’histoire générale de l’Afrique na été traduite qu’en trois (3) langues africaines, ce sont le kiswahili, le hausa et le pulaar.
Ø  La déclaration universelle des droits de l'homme (10-12-1948) est disponible en version pular.
Ø  Le pular est intégré dans la technologie de l’information et de la communication (TIC), de nos jours, cette langue s’écrit, et se publie à travers l’internet grâce à la détermination de ces promoteurs. Découvrez ici le premier Smartphone en pulaar .
Ø  Le pular était parmi les huit (8) langues africaines sélectionnées au Congrès des Écrivains et Artistes Noirs, réuni à Rome du 26 mars au 1er avril 1959 pour l'élection d'une langue d'Afrique noire, qui serait apprise par chaque Africain en plus de sa langue régionale.
Ø  Le Code électoral du Burkina Faso est disponible en langues nationales, dont le fulfulde (pular).
Ø  Le Pulaar figure parmi les langues nationales qui ont fait leur entrée au Parlement Sénégalais.
En Afrique, on parle souvent de « langues en danger » ou « menacées d’extinctions » pour faire allusion à ces langues dites « vernaculaires ». Pour le cas de la Guinée, le projet des langues en danger a identifié 13 langues guinéennes sur une vingtaines qui sont menacées d'extinctions, c’est sont : Le  Badyara, le Baga Binari, le Baga Koga, le Baga Manduri, le Baga Mboteni, le Baga Sitemu, le Bassari, le Landoma, le Mani, le Mbulungish, le Nalu,le Wamey, et Zialo.  Mais une remarque pertinente des six (6) langues recensées pour l’enseignement et l’alphabétisation en Guinée (qui ont le statut de langues nationales) nous permet de comprendre qu’il ya une liaison entre les langues guinéennes, c’est d’ailleurs le cas des dérivées du Baga (s) (Binari, Koga, Manduri etc), qui peuvent être considérer comme des dialectes d’une même langue. En quelque sorte, toutes les langues du pays se retrouvent sur les 6 langues retenues par l’état.
Vous remarquerez l’absence du Pular sur la liste des langues guinéennes en danger. En faite, sur les trois (3) langues guinéennes qui assurent la fonction de langues véhiculaires régionales, figure le Pular.
Le Soso et le Maninka sont les principales langues qui partagent la même aire d’expansion que le Pular (DIALLO A. 2000).
En guise de conclusion, si on a peur de perdre le Pular, ce n’est pas parce qu’il est influencé par le français comme écrit l’auteur de ce billet de blog, mais plutôt pour le manque de motivation, de part et d’autre, de faire de ces langues, des langues de sciences et de l'éducation.  

4 commentaires:

  1. On jaaraama! Merci pour ces perspectives. J'étais dans la salle d'un atelier sur les IDNs en langues africaines à Dakar en 2005 où Adama Samassekou, alors directeur de l'ACALAN (il fût aussi ministre de l'education au Mali, et directeur du comité préparatoire du SMIS), a châtié - très poliment - l'un des intervenants pour avoir qualifié les langues africaines en générale comme vernaculaires.

    Pour ma part, en tant que locuteur natif de l'anglais, j'avais questionné l'utilisation généralisée du terme "local language" pour les langues africaines. C'est à peu près le même problème avec "vernaculaire" dont vous avez écrit.

    Cépendant, je trouve que le cognat en anglais "vernacular" permet une interpretation plus large.

    Y a-t-il des termes en peul avec des semblables distinctions?

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  2. Merci Monsieur Donald Z. Osborn pour l'intérêt porté a ce billet.
    J'ai lu un peu sur Monsieur Adama Samasekou, il as beaucoup œuvré dans la promotion des langues africaines, notamment, sur la problématique du plurilinguisme en Afrique...

    J'ai constaté que bon nombre de journalistes et blogueurs africains continuent toujours a traiter les langues africaines de "langues vernaculaires", alors qu'elles ne l'est pas.

    C'est comme vous l'avez si bien dit, "langue locale" est synonyme de "langue vernaculaire", car en linguistique, une langue "vernaculaire" est la langue "locale" communément parlée au sein d'une communauté.

    En Pular, on peut retrouver "haala taafiɗuka" ("pauvre langue", c'est a dire, pauvre en terme d'orthographe). Mais les termes "locale", ou "vernaculaire" n'existent pas en Pular .

    Encore un fois, merci de votre attention.

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  3. A jaaraama Moodi Tafsir. Hida wakkili fii bantugol haala pular. Yo Allah yobe njoddi Aljanna. Merci pour le travail que tu es entrain de faire pour la promotion des langues africaines en général et celle pular en particulier. Je suis d'accord avec toi sur presque tout le billet. Cependant, je voudrais signaler que "Arapulen" n'est pas un mot pular. ça vient de l'anglais "Airplane". Il y d'ailleurs beaucoup d'autres mots anglais dans le pular(fuuta jaloore): bireedi(pain), pileeti(assiette), bota(beurre), etc...C'est lié à l'histoire du Futa avec l'empire britannique en Sierra leone.
    Serkel est aussi d'origine française(cercle). C'est une sorte de subdivision qui a disparu en Guinée mais qui existe toujours au Mali.
    A yettaama seydi Balde

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  4. Seydi Bari, mi weltorii yowre nden ...et de ton commentaire qui éclaire mon billet de blog. Grand Merci pour tes prières, ton message d'encouragement et ton soutien moral.

    Je suis d’accord aussi avec toi sur les mots pular empruntés à l’anglais et au français. Ce que tu dis revient à ce que j’ai mentionné dans le billet, le pullo a emprunté ses mots de « arapulen » (air plane) et « serkel » (cercle), non pas par manque de mots, mais pour abandon des termes pular au profil des empruntes français et anglais.

    En quelque sorte, avion s'appel: « laana-wiirooha » en pular, ou « wiirooha » tout court. Mais son usage est très rare de nos jours, par rapport aux mots empruntés au français « awiyon » ou anglais « arapulen ».

    « Serkel » aussi (de « cercle », qui désigne arrondissement) en pular, a une origine en pular qui veux dire « doŋre ».

    Une remarque sur les mots aborbés ci-haut nous permet de comprendre que le pullo, bien qu'il ait cohabité avec les anglais et les français qui lui ont fourni des empruntes lexicaux, a quand même des termes similaires de la plupart de ces empruntes.

    Je note que l’une des faiblesses du pullo, c'est qu’il préfère garder sa langue maternelle au profil des autres!

    A jaaraama fota fota.

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